Le biomimétisme marin

Savez-vous ce qui a inspiré l’invention de microélectrodes souples ou de colles ultra résistantes pour l’industrie ? L'observation de la vie marine !

Le terme anglais « biomimicry », ou biomimétisme en français, a été inventé par l’ingénieur, inventeur et scientifique Otto Schmitt dans les années 60. Ce nouveau mot est entré dans le dictionnaire Larousse en 2014 qui en donne la définition suivante : le biomimétisme est l’application technologique de propriétés observées dans la nature.

Qu’est-ce que le biomimétisme ?

Le biomimétisme désigne un processus d’innovation qui s’inspire du vivant pour tirer parti des solutions et inventions produites par la nature.

Cette discipline consiste à observer et à reproduire des propriétés essentielles d’un ou plusieurs systèmes biologiques pour concevoir des formes, des matériaux et des procédés à la fois innovants et durables. Ces innovations permettent à l’être humain d’améliorer son quotidien en s’inspirant des particularités des organismes vivants.

On parle également de bio-inspiration.

D’où vient le biomimétisme ?

L’humanité s’est toujours intéressée à la nature pour améliorer ses conditions de vie et trouver des solutions à ses problèmes. Même les plus anciennes activités comme la pêche ou la chasse ont été inspirées des comportements observables chez les animaux.

Dès l’Antiquité, l’être humain commence à mettre au point des théories pour faire avancer la recherche et les sciences. Il se fonde sur des observations faites dans le milieu naturel. Après un processus de réflexion et d’analyse, ces observations ont permis de tirer des conclusions et de mettre au point des théories scientifiques utiles pour l’avancée de la science.

"Même Léonard de Vinci s’est inspiré de la nature pour ses inventions. Les oiseaux et les chauves-souris lui ont permis d’imaginer la création de diverses machines innovantes pour permettre aux hommes de réaliser quelque chose qu’ils ne pouvaient naturellement pas faire : voler !"

Dans les années 60, des avancées scientifiques et techniques ont ouvert un peu plus la voie au biomimétisme. L’observation de la faune et la flore pousse les hommes à s’y intéresser davantage pour appliquer leurs principes naturels à des inventions humaines. Parmi les domaines concernés, on peut par exemple citer la pharmacologie et la médecine. L’Homme détourne les capacités des organismes vivants pour produire des molécules biologiques qu’il ne peut pas synthétiser : un lien entre la nature et le monde technologique se crée.

En 1997, la scientifique américaine Janine Benyus, proposait d’observer le génie de la nature pour l’imiter ensuite dans la conception d’objets, de systèmes. Les végétaux, les animaux, les micro-organismes, les algues, les écosystèmes : tout est source de connaissance et de réponses aux problèmes humains.

Pour Janine Benyus, « la nature a 3,8 milliards d’années de Recherche & Développement d’avance sur nous ». Il n’est alors plus question d’exploiter la nature mais bel et bien de l’imiter. L’exploitation de la nature mènera inévitablement à la disparition d’espèces; il faudrait donc opter pour une gestion durable de ses ressources, ce que permet le biomimétisme.

Le biomimétisme permettrait alors d’atteindre un équilibre durable entre l’Homme et la Terre, avec pour objectif le « zéro-déchet, zéro-pollution ».

Pourquoi s’intéresse-t’on au biomimétisme marin ?

Il y a 200 ans, les hommes ont créé une société basée sur le progrès industriel. Des avancées extraordinaires ont été accomplies. Cependant, le système économique dans lequel nous vivons aujourd’hui est à bout de souffle. En ce début de 21e siècle, l’homme prend de plus en plus conscience de la fragilité de la planète et de la limitation des ressources.

De nouvelles découvertes continuent de mettre en évidence le génie de la nature et ses infinies possibilités.

Les enjeux du biomimétisme marin

Environnementaux

Les océans recouvrent les trois quarts de la superficie de la Terre, contiennent 97 % des réserves en eau de la planète et représentent 99 % de son espace vital en volume. Plus de 50 % de la population mondiale vit sur les côtes; ce chiffre s’élèvera à 75 % d’ici 2025.

Les ressources des océans et de la planète en général sont cependant limitées. L’organisation non-gouvernementale Global Footprint Network calcule chaque année le jour du dépassement du « budget écologique annuel » de la planète.

Après la date indiquée, pour le reste de l’année, notre consommation résulte en un déficit écologique croissant qui puisera dans les stocks de ressources naturelles et augmentera l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère. En 2015, le seuil était atteint le 13 août et en 2016 le 8 août. En 2017, le seuil était atteint le 2 août. En 2018, le jour du dépassement planétaire si l’humanité menait le style de vie des Français, était le 5 mai.

Dans Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition du CGDD , il est rapporté ceci :  « Les limites physiques et biologiques de la planète nécessitent donc de revisiter les mécanismes du monde vivant, non seulement à l’échelle des espèces mais aussi à celle des écosystèmes, pour trouver des réponses innovantes s’inscrivant dans ces limites, en termes de produits, de procédés et d’organisations. Ainsi le biomimétisme est, selon un rapport du Sénat de 2007, « l’une des boîtes à outils de la quatrième révolution industrielle ».

Économiques

La raréfaction des ressources naturelles répercute directement le système économique actuel. Or la nature inspire tout d’abord par sa performante « gestion des ressources ».

Pour reprendre la célèbre formule de LAVOISIER « rien  ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » ;  il n’existe pas de « déchet »  dans un écosystème naturel. Tout sert et se recycle en permanence.
L’idée d’appliquer ce fonctionnement à nos propres activités a été popularisée notamment par Ellen MacARTHUR et Gunther PAULI. Il s’agit de l’économie circulaire.

Le concept de l’économie bleue est issu de l’initiative Rio +20 pour une Économie verte. Il repose sur les principes de bien-être de l’homme, d’équité sociale, de réduction des risques environnementaux, d’efficacité des ressources en lien avec la mer. Il intègre lui aussi l’importance des connaissances issues de ce milieu.

Blue Society

Il existe un projet qui place l’Océan au cœur de nos vies et contribue au développement durable et au bien-être de l’Homme : la Blue Society.

« Il invite à préserver la mer, à prendre la mesure de l’infini panel de solutions qu’elle renferme puis à se les approprier et à en partager les bénéfices ». Ainsi, la notion de biomimétisme est importante pour la Blue Society et répond à ses enjeux.

Applications réalisées

La mise en application des imitations et inspirations de la nature concerne aussi bien les formes, les procédés, les propriétés que les écosystèmes.

En voici quelques exemples dans des domaines aussi variés que la vie courante, la santé, l’énergie, les transports, etc.

Les exemples d’applications de cette partie sont effectifs. Les prototypes existent déjà, sont utilisés voire commercialisés.

En médecine

  • Le concombre de mer : La capacité de leur peau à s’amollir ou à se rigidifier en fonction du milieu a été à l’origine de la création de micro-électrodes souples à implanter dans le cerveau pour mieux le soigner. Cette utilisation pourrait permettre de traiter la maladie d’Alzeihmer.
  • Le poulpe : Des ingénieurs se sont inspiré des caractéristiques du tentacule du poulpe pour mettre au point un prototype de bras robotique. Utilisé lors de chirurgie, ce robot médical peut se plier, se faufiler, se rigidifier pour permettre aux chirurgiens d’atteindre des zones du corps humain difficiles d’accès sans endommager les organes.
  • La méduse : Le « marqueur vert », utilisé en médecine et en chimie, a été copié sur le composant chimique de la méduse Aequorea victoria. Il signale les processus se déroulant dans une cellule, ce qui a permis de faire de nombreuses découvertes en génétique.
  • La coquille saint jacques : En imitant la façon de se déplacer des coquilles Saint-Jacques, des chercheurs ont mis au point un ce micro-robot sans moteur ni batterie qui permet de monter des dispositifs médicaux à l’intérieur du corps. Il peut même voyager à travers la circulation sanguine.

Dans la vie courante

  • Le poisson coffre : Son corps en forme de boîte et son hydrodynamique ont inspiré la conception de la Bionic-Car de Mercedes-Benz, un véhicule à la structure légère et à l’aérodynamisme stupéfiant.
  • La crevette : Les propriétés et constituants de la carapace des crevettes ont inspiré la conception du shrilk, sorte de plastique peu coûteux et biodégradable. La chitine, élément composant la carapace des crevettes est utilisée dans différents domaines comme la médecine, la cosmétique, la chirurgie ou encore la filtration des eaux usées.
  • L’éponge de mer : Des scientifiques ont découvert que certaines éponges marines possèdent des propriétés structurales de rigidité mécanique et de stabilité, en dépit de leurs composants internes fragiles. Ainsi, les architectes ont pu édifier des bâtiments aux formes originales avec des matières innovantes que l’on croyait trop fragiles.
  • La langouste : La carapace de la langouste, qui alterne couches solides et souples de chitine, ont inspiré le styliste Franci Lodato pour réaliser ses enveloppes de téléphones portables.

Autres applications

  • La moule : C’est sa capacité à se coller à des rochers ou à des coques de bateau dans l’eau salée qui ont permis à des scientifiques de mettre au points des adhésifs résistant à l’eau.
  • L’oursin : La bouche et les dents de l’oursin ont servi de modèle de pince capable d’échantillonner des sédiments sur d’autres planètes telles que Mars.
  • La murène : Avez-vous remarqué l’ondulation des murènes ? L’hydrolienne Eel energy (eel signifie anguille en anglais) a pris modèle sur le déplacement par ondulation des animaux aquatiques. Elle offre une énergie renouvelable dont le déploiement industriel débutera fin 2016.
  • Le requin : Un revêtement antibactérien mais non toxique simulant la peau de requin a été développé par la société américaine Sharklet.
  • Le kelp : L’hydrolienne Biowave imite le kelp, tant par la manière dont ses feuilles ondulent que par sa façon de s’arrimer au fond.
  • La seiche : Le robot sous-marin Sepios a été inspiré de la seiche. Avec ses quatre nageoires et sa vessie natatoire mécanique, le robot dispose d’une flottabilité parfaite.

Applications à l'étude

Les exemples d’applications de cette partie sont à l’étude avec d’importantes perspectives.

En médecine

  • L’hippocampe : L’articulation et la flexibilité de la queue préhensile des hippocampes inspirent la conception de nouveaux robots ou systèmes de défense, notamment dans le domaine médical.
  • L’étoile de mer : Une enzyme présente dans les cellules humaines, existe en abondance dans les  œufs de l’étoile de mer épineuse Marthasterias glacialis. Cette enzyme permet ou empêche, selon son état, la division de cellules. Une application bio-inspirée pour empêcher la prolifération des cellules cancéreuses, c’est ce sur quoi travaillent notamment des scientifiques du Cancer Research Campaign, Université de Newcastle.
  • Le poulpe : Des expériences ont permis de créer un tissu artificiel inspiré par la peau du poulpe. Comme ce céphalopode, le tissu peut changer sa texture et sa couleur afin de se fondre dans l’environnement : ce tissu permettrait d’améliorer les techniques de camouflage dans l’armée. On pourrait ainsi voir la création d’une véritable cape d’invisibilité…semblable à celle d’Harry Potter !

Autres applications

  • Le manchot : Si le manchot était un véhicule, il pourrait parcourir 1500 km avec un seul litre de carburant ! L’aérodynamique et la manière dont il coordonne ses mouvements ont inspiré le chercheur allemand Rudolf Brannasch qui a réalisé des prototypes de bateaux et sous-marins.
  • La patelle : Les dents de patelle sont ultra-résistantes à la traction grâce à leur structure composite particulière. Ces qualités étudiées de près ouvrent de nouvelles perspectives de bio-inspiration pour créer des coques de bateau ou des fuselages d’avion à la fois plus solides et plus légers.
  • Le corail : Un nouveau matériau qui imite le corail pourrait aider à éliminer les métaux lourds toxiques comme le mercure de l’océan
  • La raie pastenague : La façon de se mouvoir des raies pastenague pourrait inspirer une nouvelle génération de sous-marins.
  • L’arapaïma : Ses écailles sont étudiées pour créer des gilets pare-balles.

Pour en savoir plus et sources

Articles et rapports

Patricia RICARD. Le biomimétisme: s’inspirer de la nature pour innover durablement. 
Journal Officiel de la République Française, Mandature 2010-2015 – Séance du 9 septembre 2015, 15 septembre 2015

Hermine DURAND- Sous la direction de : Catherine LARRIEU, chef de la Délégation au Développement Durable (CGDD/DDD) et Claire HUBERT, chef du Service de la Recherche (CGDD/DRI/SR). Étude sur la contribution du biomimétisme à la transition vers biomimétisme à la transition vers une économie verte en France une économie verte en France: état des lieux, potentiel, leviers. Commissariat Général au Développement Durable. Etudes et Documents, n°72, octobre 2012

CRDD. Le biomimétisme. Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement – CGDD, février 2012

En anglais : Julian F.V VINCENT, Olga A BOGATYREVA, Nikolaj R BOGATYREV, Adrian BOWYER, Anja-Karina PAHL. Biomimetics: its practice and theory. Journal of the Royal Society Interface, 22 août 2006


Livres

Mat FOURNIER. Quand la nature inspire la science.(Prix Planète Bleue 2012- Catégorie Beaux Livres). Ed. Plume de carotte, 2011

Agnès GUILLOT et Jean-Arcady MEYER. Poulpe fiction. Quand l’animal inspire l’innovation. Ed. DUNOD, 2014

Anne JANKELIOWITCH et Jean GARRIGUE. Toutes les idées géniales qu’on a piquées à la nature. Ed. DELACHAUX & NIESTLE, 2013 (Pré-sélection Prix Planète Bleue 2014)

Jeanine BENYUS. Biomimétisme. Quand la nature inspire des innovations durables. Ed. Rue de l’échiquier, 2011

Gauthier CHAPELLE. Le vivant comme modèle. Ed. Albin MICHEL, 2015

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